Renouer avec notre culture politique afin de restaurer la confiance

Publié le par Sébastien Leprat

4 mai 2006

Excessivement orienté vers la personnalisation et les rapports de force, le débat politique offre une bien piètre image de la démocratie. Actuellement, l’action politique est toute entière tournée vers les enjeux de pouvoir, les batailles de sièges, les luttes sournoises de postes. Fortement rythmé par les élections et non par les votations, le débat public se délite au profit d’une lecture inachevée de la politique.

Pour définir le champ de l’action politique, le vocable anglophone distingue trois dimensions (polity ; policy ; politics). La « polity » se préoccupe des institutions, des pratiques et des procédures. Elle s’intéresse au cadre institutionnel. La « policy » se soucie des politiques publiques, de la matière discutée. Quant à la « politics », elle s’attache au rôle des acteurs et aux rapports de force. Ce détour linguistique offre une excellente grille de lecture afin de comprendre les problèmes politiques actuels de notre pays.

En temps normal, le rythme politique helvétique privilégie incontestablement la « polity » et la « policy ». En agissant au cœur d’un système institutionnel très développé (polity), les élus se préoccupent prioritairement des sujets concrets (policy). Derrière chaque débat, l’ambition de trouver une solution, l’impérieuse nécessité du compromis œuvre en coulisse au sein des institutions, puis au grand jour lors des votations. Le fédéralisme et la démocratie directe développent donc une très forte culture de la « polity » et de la « policy ».

Dans cet esprit, notre pays a su développer une économie florissante, des réseaux d’infrastructures performants. Grâce aux équilibres institutionnels patiemment construits avec le concours des plus grands juristes européens au lendemain de 1848, nous réussissons le pari d’une cohabitation réussie entre plusieurs cultures.

Naturellement, les seules dimensions procédurales ou thématiques de notre histoire démocratique n’expliquent pas à elles seules notre réussite politique. La politique n’est pas un univers désincarné. Elle ne saurait être réduite à sa seule mécanique décisionnelle ou aux seuls débats sur les enjeux de société. Fort heureusement, la démocratie se nourrit également de la force de convictions de ses acteurs, de la capacité des élus à utiliser les armes de la « politics ».

Néanmoins, depuis quelques années, une trop large place est faite à la politique spectacle, à l’art périlleux de l’incessante invective. La logique du combat électoral permanent impose ses vues. Comme chez nos voisins, l’excès de « politics », le rapport de force permanent, domine exagérément les desseins partisans. Les jeux de pression, les manœuvres d’intimidation voire parfois même les stratégies machiavéliques, font les choux gras d’idéologues avides de sensations fortes. Ainsi, l’opinion publique est dupée par la simplification. En agissant de la sorte, certains partis ne respectent plus l’esprit de notre démocratie. Les résultats de ce mouvement sont préoccupants. La machine démocratique suisse est grippée. Tiraillé par d’incessantes luttes de pouvoir, le Parlement est paralysé. Otage de ce jeu politique, le gouvernement voit son bilan s’amincir au fil des années. Quant au citoyen, son abstention grandissante traduit un sentiment malsain d’impuissance.

Dans un tel contexte, les partis politiques sont invités à renouer le dialogue. Fidèles à leurs héritages historiques, le Parti Radical-Démocratique, le Parti Libéral comme le Parti Démocrate-Chrétien sont conscients de cette nécessité. Artisans en début de législature d’une tentative de contrat de législature, ces mouvements se sont heurtés à de stériles passes d’armes politiciennes. Plus récemment, de telles attitudes n’ont pas permis de déboucher sur des solutions constructives en faveur de la réforme de l’assurance invalidité (échec de la table carrée entre les partis gouvernementaux). Animées par des partis complices dans l’art de la polarisation, ces manifestations de blocages se reproduisent frénétiquement.

Enfin, peu rythmé par les votations, peu animé par des projets concrets sur lesquels chaque citoyen doit produire l’effort de se positionner, l’agenda politique privilégie les élections et amplifie cette dérive vers l’excès de « politics ». Lors des récents rendez-vous électoraux communaux ou cantonaux, très peu de débats se sont en effet articulés autour des projets à engager pour l’avenir de notre pays. Trop souvent, les candidats se sont attachés à exacerber stérilement la concurrence qui domine l’environnement partisan. Ainsi, les partis ne donnent plus l’impression d’engager un combat pour les valeurs et en faveur du bien public

Dans cet esprit, la succession de monsieur Joseph Deiss au conseil fédéral sera intéressante. Mal conduite, elle risque d’amplifier la critique montante à l’endroit d’une « classe politique » qui ne se soucierait plus des problèmes concrets de notre pays. Bien menée, elle peut offrir l’occasion de renouer avec notre culture politique et de permettre ainsi à la « policy » et à la « polity » de recréer un climat de confiance.

 

 

 

 

 

 

 

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